11.
J’ai vu bien des mondes de l’Univers Connu : certains étaient merveilleux, d’autres désertiques, certains tellement étranges qu’ils défiaient toute compréhension, toute description. Mais le Monde de Dune est le plus énigmatique de tous.
Gurney Halleck,
Notes pour une ballade inachevée.
Trois silhouettes cheminaient dans le sable froid, sur la crête sinueuse d’une dune, laissant derrière elles des empreintes mêlées sous la clarté des lunes. Barri allait en tête avec une énergie et une détermination qui étaient peu ordinaires chez un enfant de huit ans. Et Jesse puisait une énergie nouvelle dans la force et l’optimisme de son fils.
Mais soudain, le garçonnet trébucha sur une poche de poussière et ses jambes se dérobèrent sous lui. Il lutta pour retrouver son équilibre, mais il n’avait aucun point d’appui. Il lança un cri en dévalant la pente abrupte. Le sable l’emporta vers le bassin comme une couche de neige poudreuse. Quelques cailloux gros comme une tête humaine dévalèrent à la suite en rebondissant.
— Barri ! cria Jesse en se précipitant vers le bas.
L’enfant avait eu la présence d’esprit de planter ses jambes dans le sable tout en écartant les bras sous l’averse de grains, et il avait ainsi évité d’être englouti dans la dune. Son masque avait été arraché, il avait du sable sur tout le visage, il toussait et hoquetait, mais il trouva le moyen de sourire en voyant son père.
— Ça va, balbutia-t-il.
Le flot de sable et de pierres continuait à ruisseler vers le fond du bassin, jusqu’à une plaque blanche et dure qui résonna sous l’avalanche. Les agglomérats de grains déclenchèrent une onde de choc semblable au battement violent d’un cœur géant, qui résonna dans la nuit.
Barri s’élança vers le haut, à la fois apeuré et fasciné. Le battement devint une vibration qui allait crescendo.
— Du sable tambour ! s’écria English. Des grains d’une taille et d’une forme précise, en déséquilibre acoustique ! (Le contremaître était blême.) C’est assez fort pour attirer un ver ! Monte, petit ! Monte !
Jesse dérapa jusqu’à son fils et lui saisit le bras.
— Viens, il faut qu’on parte d’ici très vite.
Barri, haletant, épuisé, avait du mal à se redresser. Sur la crête, English s’agitait frénétiquement. La pente se liquéfia en les entraînant et il cria :
— Il faut absolument sortir de ce sable tambour !
Ils se laissèrent emporter dans le goulet fluide, puis ralentirent en abordant un zigzag ascendant, proche de la crête d’où Barri était tombé. Derrière eux, très loin, ils entendirent un sifflement familier. Une chose colossale déployait ses anneaux dans l’ombre.
— Stop ! chuchota English. Plus un mouvement. Plus un son.
Ils se figèrent sur place en observant les flots de sable sous la clarté des lunes. La chose tourbillonnait dans le val de sable tambour. Une tête émergea des profondeurs. Sa tête d’écailles hirsute souleva un geyser de grains de sable qui scintillaient comme des éclats de diamant. Lorsque le ver replongea, le sable tambour résonna jusqu’à ce que la créature, suivie par des échos puissants, détruise le fragile effet acoustique.
Jesse et Barri imitèrent English, qui venait de s’accroupir en haut de la dune. Ils retenaient leur souffle. Le crissement distant qui venait des sables rappelait à Jesse le souffle des vagues de la mer sur Catalan.
Plus tard, ils purent enfin se redresser et s’enfoncèrent à nouveau dans la nuit.
Deux jours après, au plus chaud de l’après-midi, défaits, épuisés, ils firent halte dans l’ombre d’un surplomb rocheux. Ils n’avaient survécu que grâce à l’Épice, mais leur réserve d’eau, sévèrement rationnée, était presque épuisée. Jesse comme English savaient qu’ils finiraient les dernières gouttes dans la journée suivante. Et s’ils se fiaient aux paracompas, ils étaient seulement à mi-chemin de l’avant-poste automatisé.
Appuyés contre le rocher, ils réajustèrent leurs masques pour minimiser la perte d’humidité. Le contremaître s’était endormi, épargnant ainsi un peu de son énergie, et Jesse ne quittait pas des yeux Barri, qui se comportait en vrai champion. Jamais il ne ralentissait, jamais il ne se plaignait. Sa mère le choyait sans doute un peu trop, mais il tenait apparemment à faire ses preuves.
Si ses descendants étaient comme ce petit garçon, Jesse pouvait garder espoir dans la Maison Linkam. Avec un rien de sens commun et une intégrité morale solide, Barri, en grandissant, deviendrait supérieur à la plupart des nobles de l’Empire, souvent corrompus. S’il survivait dans les jours prochains…
Pour l’heure, il investiguait dans les rochers. Il venait de découvrir une touffe de lichen gris-vert et il appela son père :
— Il y a quelque chose de vivant, là.
Jesse s’approcha et entrevit des ombres furtives et rapides dans les crevasses.
— Ce sont… des rongeurs !
Barri tendit désespérément la main, sans parvenir à attraper un seul des petits animaux bondissants. Un petit rat kangourou surgit sur une saillie, et pencha son museau pointu pour couiner des vociférations à l’adresse des intrus humains.
— Comment sont-ils arrivés là ? Tu crois que ce sont des spécimens qui auraient pu échapper au Dr Haynes ?
Jesse ne voyait aucune autre explication.
— Il se peut qu’il les ait libérés intentionnellement. Il a dit qu’il souhaitait installer un écosystème sur ce monde.
Côte à côte, le père et le fils observaient les rats kangourous qui vaquaient de nouveau à leurs activités. Jesse retrouva un peu d’espoir.
— S’ils peuvent survivre ici, Barri, nous aussi.